Energie » A quelques kilomètres sous nos pieds d’Helvètes, la chaleur est telle qu’elle suffirait à fournir 100 000 fois l’énergie consommée par an dans tout le pays. «Il n’y a qu’à creuser!», direz-vous. Mais il y a un problème: à Bâle comme à Saint-Gall, à vouloir chatouiller l’antre de la Terre, on a fini par la faire éternuer! Dans la cité rhénane, en 2006, les forages ont provoqué un séisme de magnitude 3,4 qui s’est soldé par des fissures dans les habitations. Pareil pour le projet saint-gallois, qui a dû aussi être interrompu après avoir généré des secousses sismiques liées à des remontées de gaz naturel.

Comment alors profiter de cette incroyable énergie calorifique dont regorge le sous-sol suisse, avec des températures de plus de 150 degrés à 4000 mètres de profondeur? C’est cette question que se sont posée 110 collaborateurs – chercheurs et partenaires industriels – du Centre suisse de compétence en recherche énergétique, qui planche sur l’approvisionnement en électricité de notre pays en vue de répondre aux impératifs de la Stratégie énergétique 2050. D’ici là, la géothermie en profondeur devrait fournir au moins 7% des besoins électriques nationaux, pour combler partiellement la fermeture des centrales nucléaires.

Pour trouver une solution à la fois sûre et économiquement concurrentielle, les scientifiques, menés par Ueli Wieland de l’EPF à Zurich, se sont installés dans plusieurs galeries du Laboratoire souterrain du Grimsel, à plus de 400 mètres à l’intérieur du massif granitique de l’Aar. Ce site, utilisé déjà depuis 1984 par la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs (Nagra), présente des conditions idéales pour reproduire à petite échelle les injections d’eau sous pression destinées à fissurer la roche en profondeur et à créer ainsi un réservoir pour l’échange de chaleur avec la surface.

Microsecousses

La première phase des travaux, qui s’achèvera en novembre prochain, a déjà permis d’installer un appareillage sophistiqué pour mesurer, dans de nombreux tubes percés dans la roche, l’impact de l’injection de l’eau sous pression, l’ouverture des fractures, leur maintien, les déformations ou encore la magnitude des microséismes provoqués. «Nous travaillerons avec un maximum de 1 mètre cube d’eau injecté par test, alors qu’à Bâle, l’injection était de 11 500 m3», rassure le responsable des expériences, Florian Amann. La montagne ne risque donc pas de s’écrouler sur la centrale électrique voisine d’Oberhasli.

Grand potentiel

Dès la fin de l’année, et jusqu’en mars 2017, seront conduites des «stimulations hydrauliques» variées, pour déterminer les meilleures options limitant au maximum les tremblements de terre. Des mesures de perméabilité des roches seront aussi effectuées. Enfin, d’avril à juillet 2017, la circulation de l’eau en profondeur sera étudiée sur la durée à différentes températures, afin d’évaluer les propriétés d’échange thermique du massif rocheux stimulé.

Les espoirs de trouver des solutions satisfaisantes sont grands. Une analyse comparative entre plusieurs expériences de géothermie en profondeur a révélé qu’avec le même volume d’eau injecté qu’à Bâle – où 11 200 tremblements de terre ont été enregistrés, mais seulement deux ou trois ressentis par la population –, la magnitude des séismes pouvait énormément varier selon le terrain et les conditions d’injection.

25 centrales nécessaires

Les recherches menées au Grimsel, devisées à 12,4 millions de francs y compris le projet de suivi, sont cofinancés par la Confédération, le Fonds national suisse, l’EPFZ et des partenaires privés. L’enjeu en vaut la peine si l’on sait qu’un seul projet peut se monter à 60 millions de francs. Et qu’il faudra construire au moins 25 centrales géothermiques d’une puissance de 20 MWe pour atteindre les objectifs de la Stratégie énergétique 2050.

Sites sismiques bannis

Après les revers des deux projets de géothermie profonde de Bâle et Saint-Gall, interrompus en raison de secousses sismiques, se pose la question du choix géographique pour de nouvelles installations en Suisse. Les explications du professeur Benoît Valley, spécialiste de géothermie et de géomécanique des réservoirs à l’Université de Neuchâtel, très engagé dans les projets de recherche au Grimsel.

Quelles sont les zones qui seraient les plus propices pour accueillir des installations de géothermie profonde en Suisse?

Benoît Valley: A priori partout, puisque le principe pétrothermal consiste à créer des réservoirs perméables dans des roches cristallines, à 4 ou 5 kilomètres de profondeur, pour y faire circuler de l’eau et remonter de la vapeur d’eau destinée à faire tourner des turbines. Sous le bassin molassique du Plateau suisse, le toit de granit se trouve à environ 2 km du côté du Jura et s’abaisse à 4 ou 5 km sur le front alpin, du côté de Saint-Gall. La température des roches est bien sûr une contrainte: elle doit être suffisamment haute pour pouvoir la convertir en électricité. On essaie aussi d’éviter les failles, qui pourraient créer des problèmes sismiques. A Saint-Gall, on avait visé une faille, dans des couches calcaires à 4 km de profondeur, en espérant que le milieu soit assez perméable. Mais la montée de gaz naturel a provoqué de petits tremblements de terre. Le projet de Bâle, lui, était dans le granite.

Les zones sismiques connues, comme Bâle, devraient-elles se passer de tels projets?

Effectivement, pour le moment on préfère s’éloigner de ces zones-là. Cela s’inscrit d’ailleurs dans les études de risques menées en particulier par le Service sismologique suisse.

Va-t-on privilégier les campagnes ou les vallées alpines pour éviter d’incommoder ou de mettre en danger les régions habitées?

Pour l’instant, nous visons plutôt le Plateau. Il est vrai que le projet suisse de géothermie profonde le plus avancé, le projet Haute-Sorne mené par la société Geo-Energie Suisse (dont EOS Holding est actionnaire), se trouve près de Bassecourt dans le Jura, dans une zone assez peu peuplée. Mais pour que les projets pétrothermaux soient rentables, il faut tout de même que leurs emplacements ne soient pas trop éloignés des utilisateurs. Economiquement, la géothermie profonde devient plus intéressante s’il est possible de faire de la cogénération, c’est-à-dire de l’électricité en premier lieu, mais aussi, avec la chaleur résiduelle, du chauffage à distance pour les habitations. Ou de la chaleur pour les industries qui en ont besoin dans leur production.

Mis à part ce projet Haute-Sorne, quels sont les autres projets de géothermie profonde en cours?

Geo-Energie Suisse développe plusieurs autres projets en parallèle, en vue de produire de l’électricité. Les autres projets en cours en Suisse sont de type hydrothermal, c’est-à-dire qu’ils ne visent qu’à extraire de l’eau chaude dans des aquifères moins profonds, pour distribuer de la chaleur. En Suisse romande, Lavey-les-Bains (VD) est bien avancé avec un tel projet. Le site prévoit la distribution de chaleur et, peut-être, la production d’électricité. Les Services industriels genevois, pour leur part, peaufinent un autre grand projet de type hydrothermal, à moyenne profondeur, pour exploiter des aquifères chauds dans des roches calcaires. On peut encore citer le projet EnergeÔ à Vinzel, dans la région de la Côte, qui prévoit également des forages vers des aquifères à moyenne profondeur. Mais tous ces projets ne fourniront que de la chaleur. Pour atteindre les 7% d’électricité d’origine géothermique prévus dans le mix énergétique suisse de 2050, il s’agira de multiplier les centrales pétrothermales. Il en faudra une cinquantaine de type Haute-Sorne...

Propos recueillis par PFY

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