Après la suspension de l’aide militaire américaine par Donald Trump, la balle est dans le camp européen, estime l’expert Sébastien Maillard. L’UE entend redoubler d’efforts pour sauver l’Ukraine, même si elle ne pourra pas compenser le retrait américain.
4 mars 2025 à 19:14, mis à jour à 23:38
Temps de lecture : 5 min
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Volodymyr Zelensky espérait des garanties de sécurité de la part de son parrain américain. La seule garantie que lui offre Donald Trump, c’est une défaite programmée. Vendredi dernier, le milliardaire l’intimidait dans le Bureau ovale, comme un chef de gang: «Soit vous concluez un accord, soit nous nous retirons.» Le président ukrainien refusant de signer un accord de cessez-le-feu aux conditions dictées par les Russes, Donald Trump a joué en solo l’un des derniers actes dans l’abandon de l’Ukraine: l’aide militaire américaine à Kiev, qui s’est élevée à 65,9 milliards de dollars jusqu’ici, a été suspendue lundi sur-le-champ.
Les livraisons d’armes en transit ou en attente sur le sol européen sont bloquées. L’indispensable partage de renseignement serait aussi concerné. Sans l’appui américain, l’Ukraine est livrée sur un plateau à la Russie. La trêve dans les airs et en mer proposée par le dirigeant ukrainien ne devrait rien y changer. «C’est une tournure défavorable pour Kiev, mais ce n’est pas la fin des illusions», tempère Sébastien Maillard, conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors, à Paris.
Sébastien Maillard: C’est possible. L’Ukraine est à la merci de Poutine à cause du rapprochement de Donald Trump. Mais elle a d’autres choix que de signer l’accord de cessez-le-feu. Il ne faut pas douter de la volonté des Européens qui ne veulent pas laisser tomber l’Ukraine. La balle est désormais dans leur camp. Ils montrent qu’ils entendent redoubler d’efforts, tout en restant unis et fermes. L’Europe est la seule chance de Kiev.
Les Vingt-Sept disposent de plusieurs leviers pour peser dans les négociations et auxquels Vladimir Poutine n’est pas insensible. Il y a d’abord le gel des avoirs russes, plus de 200 milliards d’euros mobilisés pour l’essentiel en Europe. Les seize paquets de sanctions contre la Russie pèsent aussi dans la balance car, bien que contournés, ils entravent l’économie russe. Les Vingt-Sept ne vont pas les lever sans contrepartie.
« L’Europe ne peut pas remplacer l’engagement américain du jour au lendemain, en particulier dans la défense aérienne »
Autre atout européen: leurs livraisons d’armes vers Kiev. Le mot d’ordre des Européens est d’être moins dépendants des Etats-Unis. Ils sont décidés à doper leur propre industrie de la défense. C’est d’ailleurs l’enjeu du sommet extraordinaire des dirigeants de l’UE de jeudi.
Oui, si cet argent sert à des projets conjoints et interopérationnels, sans dépendre des Américains, plutôt que pour des dépenses morcelées, redondantes et qui ne serviraient que l’industrie américaine. Le financement de l’Europe de la défense est primordial.
Le plan de relance européen peut aussi être orienté vers l’industrie de défense. Les Etats vont pouvoir s’endetter afin de se renforcer au niveau militaire sans que cela ne soit pris en compte dans la limite des déficits à partir d’un certain seuil. Il y a aussi l’idée de créer une banque intergouvernementale de réarmement qui pourrait accorder des prêts garantis.
Les Européens ne sont pas prêts à faire le deuil de la sécurité américaine. Du moins pas subitement. Mais le débat émerge déjà sur la manière dont les dissuasions nucléaires française et britannique pourraient étendre leur champ, à défaut de garantie américaine. L’Europe va apprendre à être un peu moins atlantiste et un peu plus gaulliste. Pour l’heure, elle espère toujours ramener Trump à la raison.
Les Britanniques et les Français mettent sur pied un plan pour faire revenir Washington à de meilleures dispositions. Ils veulent proposer après l’arrêt des combats l’envoi d’une force de maintien du cessez-le-feu le long des frontières à la charge des Européens, en guise de garanties de sécurité. Les Européens feraient le gros du travail mais réclament, comme le président ukrainien, une garantie de sécurité américaine pour véritablement dissuader les Russes de reprendre les combats.
C’est son ambition mais l’Europe ne peut pas remplacer l’engagement américain du jour au lendemain, en particulier dans la défense aérienne. Ce qu’elle peut faire en revanche, c’est augmenter le soutien à l’Ukraine et aider sa puissante industrie d’armement à produire davantage. Aux Européens de montrer toute leur détermination à sauver ce pays, dont la chute menacerait leur propre sécurité.
Donald Trump est très pressé de conclure cet accord qui paraît en l’état trop défavorable aux Ukrainiens. Le président ukrainien ne veut pas à raison que l’accord sur le cessez-le-feu les prive de toutes leurs ressources sans garanties de sécurité en retour. Or, Donald Trump estime que l’accord sur les minerais ukrainien est en soi une garantie de sécurité car les Américains présents dans les sites miniers serviraient à dissuader les Russes d’attaquer. Cette conception de la garantie de sécurité est un non-sens! Toute la difficulté pour Zelensky est de faire évoluer les termes du contrat.
Il n’y a plus de solidarité transatlantique évidente. C’est une tendance de fond mais depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, on assiste à un lâchage de l’Ukraine. Un axe Trump-Poutine se dessine et se confirme jour après jour. En parallèle, on assiste à la réhabilitation de la Russie et à la condamnation de l’Ukraine comme pays agresseur. Le discours de l’Etat de l’Union de ce mardi pourrait accentuer encore ce schisme au sein de l’Occident entre libéraux et extrême droite. L’Union européenne aussi est visée. Pour cela, d’un projet de paix, elle doit devenir aussi un projet de puissance à part entière.